Philosophie des Temps Modernes
Paracelse – Dorn – Trithème. Sous la direction de Caroline Thuysbaert. Traduit du latin et de l’allemand par Caroline Thuysbaert, Stéphane Feye, Alexandre Feye et Hans van Kasteel. Introduction et annexe sur la vie de Paracelse par Caroline Thuysbaert.
Les éditions Beya, situées à Grez-Doiceau, près de Louvain-la-Neuve, se consacrent à la tradition hermétique et alchimique, se proposent de rendre accessibles nombre de textes méconnus, sous leur forme originale ou traduite, en une série de volumes de fort belle exposition. Il convient, eu égard au titre de leur treizième parution et de la présentation des première et quatrième de couverture, de lever d’emblée une ambiguïté. Paracelse (1493-1541), dont le nom trône en grands caractères en en-tête de l’ouvrage, n’y est en vérité guère présent que par l’esprit. Là où l’on s’attendait sans aucun doute à l’édition de textes du grand médecin alchimiste, ce sont en définitive essentiellement quatre travaux de son disciple indirect et traducteur en latin G. Dorn (c. 1530-1548) qui nous sont offerts, ainsi qu’un ensemble de lettres de son célèbre maître Jean Trithème (1462-1516). Entre ces deux ensembles, dont le premier n’occupe pas moins de deux tiers du volume, est certes, présenté le De secretis creationis, attribué longtemps à Paracelse, mais dont le caractère apocryphe – ce que connaissent bien volontiers l’éditeur ainsi que les traducteurs -, est aujourd’hui assez généralement reconnu. Si bien que de Paracelse véritable, ne reste en définitive que l’esprit. On pourra regretter cette impression trompeuse. Une biographie de Paracelse vient cependant encore clôturer le volume, qui offre ainsi en définitive un ensemble à première vue assez disparate.
Outre cet « esprit » paracelsien – que nous concéderons en dépit de la gêne inévitable qui naît de caractériser ainsi les maîtres à partir des élèves -, règne encore parmi les textes rassemblés de Dorn et du pseudo-Paracelse une communauté thématique qui elle, est sans aucun doute très opportune, et qui les réunit autour d’une tentative d’exégèse alchimique de la Genèse, abordant les textes bibliques de la création du monde et de l’homme, ainsi que la chute de ce dernier, à partir des principes fondamentaux de l’hermétisme et de la philosophie spagyrique. De Dorn, sont traduits le De Naturae Luce Physica, ex Genesi desumpta, la Monarchiia Physica, les Congeris paracelsicae chemiae de transmutationibus metallorum, le De genealogia mineralium atque metallorum omnium, ex Paracelso.
Les principes de l’édition se veulent adressés au grand public et les éditeurs et traducteurs ont délibérément choisi de réduire les notes scientifiques, les apparats des textes ainsi que leurs introductions à leur strict minimum, laissant ainsi parler les auteurs eux-mêmes. On aurait souhaité connaître toutefois ne fut-ce que les critères ayant présidé aux choix des éditions traduites. Les notes présentées sont au demeurant utiles et bien faites. Les introductions sont certes succinctes, mais nous noterons que le parti pris des éditeurs serait tout à fait justifiable si, à une louable modestie et aux limites qu’ils assignent eux-mêmes à leur projet, ne venaient se mêler ces agaçants poncifs, selon lesquels le caractère unitaire et plus essentiel de la vérité ne devrait pas s’encombrer de trop de détail historiques, ou selon lesquels encore la longueur de l’apparat critique serait inversement proportionnelle à la mise en valeur du contenu du texte ainsi orné. D’infatigables chercheurs ont su montrer qu’en ces traditions secrètes et mouvementées, où parfois se multiplient les circonstances pour voir se diversifier les manuscrits et éditions, l’érudition et la manière dont elle tisse les liens qui unissent éléments et suggestions d’un halo culturel, est rarement chose vaine. Qu’on pense par exemple au foisonnement des articles de François Secret !
Le volume se conclut par une annexe rassemblant une « carte d’identité » ainsi qu’en ensemble agencé chronologiquement d’informations concernant les évènements marquants et les voyages de Paracelse. Il est regrettable qu’outre la biographie donnée au début de cet effort, les références précises des sources d’où sont tirés ces renseignements ne soient pas suffisamment systématiquement indiquées au fil du texte, ce qui empêche inévitablement le lecteur d’accorder immédiatement son crédit. La manière dont cette annexe est confectionnée ne manque pourtant de qualités. Particulièrement claie, elle fourmille de renseignements et informe conséquemment le lecteur curieux, n’étaient quelques tournures ambigües. Faire de Paracelse le « père » du magnétisme et de l’homéopathie ne s’écrit pas sans autre précaution. On admettra, en dépit, entre autres, de sa célèbre lettre à Luther, Melanchthon et Pomeranus, que le fait qu’il ne paraisse pas « s’être beaucoup intéressé aux polémiques suscitées par le protestantisme naissant », peut être discuté.
Celui qui s’intéresse à cette riche tradition ne boudera pas son plaisir cependant, devant l’édition de tant de texte fondamentaux, rendus accessibles pour la première fois en Français. C’est que ce type d’édition demande un travail titanesque. La traduction de ces œuvres n’est pas aisée et l’on ne pourrait se montrer trop reconnaissant devant l’accomplissement d’une entreprise qui a réussi à rendre ces textes tout à fait lisibles, là où les originaux sont si ardus à parcourir. En dépit de quelques défauts de « jeunesse », nous ne pouvons qu’encourager vivement l’initiative, si importante, de rendre plus disponible cette tradition dont l’influence, souvent souterraine, fut pourtant véritablement déterminante dans le développement de notre culture occidentale.
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